Petit Jules veille, par Chantal
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Faire un saut périlleux
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Le grand écart
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Conduire un bateau sans permis
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Faire du Roller à 68 ans
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Se bruler sans rien ressentir
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Venir à l'atelier d’écriture
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Avoir son permis après cinq leçons
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Me faire couper les cheveux avec la désapprobation de ma mère
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Faire trois enfants
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Dire ce que je pense, même si pour l'autre c'est difficile à entendre
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Tomber du toit sans se faire mal
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Arriver à deviner les choses juste en regardant les personnes
Sac au dos, mine fière, me voici prête à arpenter les rue de Nantes, casque sur la tête et roller aux pieds. Le petit Jules assis sur son banc m'observe en passant, des visiteurs du musée Jules Verne aussi me regardent et je devine une pointe d'envie et d'admiration. Plus bas, vers le quai de la fosse, je passe devant un groupe de gamins, et j'entends, « t'as vu la vieille ». Là mon sang ne fait qu'un tour, piquée dans mon orgueil, je fais un demi tour spectaculaire et je stoppe devant le malotru, le regarde dans les yeux, me penche en avant, défais mon roller droit, que je lui tends « allez à toi ». Flottement, personne ne bouge, moment sublime où vous avez l'impression d'avoir gagné quelque chose. Une pirouette, un mot gentil, je détends l'atmosphère, et me dirige au plus vite vers la rue de la Montagne où pas loin, j'ai mon atelier d'écriture pour la première fois. Un autre challenge m'y attend, c'est la première fois et j'aime pas les premières fois. Oser écrire, alors qu'en sixième vous aviez moins vingt à votre dictée, à cause de vingt fautes d'orthographe. Allez un peu de courage, le permis en cinq leçons c'était aussi un challenge. Je me sens vidée, pas dans mon assiette, comme si j'allais faire le grand écart ou un saut périlleux : et si la feuille restait blanche. On me regarde, on me dévisage, mes cheveux sont-ils trop courts, mes lunettes de travers ! Non, mais venir à un atelier d'écriture, sans crayon c'est un peu bête. Allez, faut y aller, la consigne, ah !! la consigne. Ma page s'anime et mon crayon aussi, c'est comme un accouchement, oser, mettre un mot puis un autre. Mon crayon glisse en équilibre sur mes doigts, je tremble, je saute dans le vide. L’atterrissage est rude, les mots deviennent agressifs, désapprobateurs. Les doigts me brûlent, sans laisser de traces, ils deviennent ennemis, je ne sais plus où j'en suis, comme un bateau à la dérive. Stop s'est fini. Le crayon se pose sur la table, je reprends mon calme, je trouve les personnes autour de la table très sympathiques. L'atelier est fini, vivement dans quinze jours.
Vers Saint Clair le groupe de jeunes me salue en passant avec un petit sourire. Petit Jules veille.