sélection production 2013 2014

Absurdité

Il n’y a pas d’impression sur une page blanche, par définition une page blanche est vide d’impression. Mais j’ai comme l’impression que mon expression écrite vient de créer l’impression…

 

Et cela m’impressionne d’avoir le droit de m’exprimer, cela me met un peu la pression de prime abord et pour me dépressuriser je vais tenter de me presser sur la tranche de la feuille plutôt qu'en plein milieu. 

 

Cela fera une drôle d’impression à l’imprimeur de devoir imprimer sur tranche. L’expression réduite à sa plus courte expression, on pourrait même parler de tranche d’expression. Expression libre !

 

Expression spontanée… Mode d’expression, exprimez-vous ! Exprimez de vous la substantifique moëlle, répandez-la sur la page blanche, laissez-vous aller, laissez venir les mots sans pudeur, sans retenue, lâchez-vous !

 

Depuis que je me lâche ça me tient, gonflé à bloc j’ai de l’expression dans les pneus. Je laisse des traces de gomme dans les virages du mot saucisson.

 

Y a comme un os dans la substantifique moëlle de mon expression. Une bonne tranche de cake pour réduire cette absurde envie d’écrire que j’ai tant de mal à nourrir, serait la bienvenue.

oOo

Délicieuse cambriole

A la bougie ou à la lampe torche, suivant le degré de fantaisie de chacun, les visiteurs ont parcouru l’exposition à la recherche de la perle rare.

L’objectif de l’artiste est bien la transgression du modèle traditionnel : loin de nous l’habituelle atmosphère feutrée, les sols que l’on peut lécher tellement ils sont briqués, la lumière tamisée ; ici, le visiteur est plongé dans l’atmosphère du grenier de famille.

Avec le billet d’entrée, chacun doit capturer un objet, celui qui le touche, l’intrigue, l’amuse. La confusion est volontairement entretenue par l’artiste : il demande bien à ses visiteurs de photographier un objet, et non de le subtiliser. Mais en capturant son image, le visiteur s’approprie l’objet. L’artiste a bien compris que l’Œuvre lui échappait dès lors qu’il la présentait à un public : elle n’existe que parce qu’elle est regardée, goûtée, pour être appréciée ou détestée. Et dès que la lumière du visiteur effleure un morceau de l’Œuvre, alors elle n’appartient plus qu’à celui qui la regarde.

Ainsi, chacun a finalement visité une exposition différente, personnelle, qui résonne très intimement, et tous ont fait l’expérience d’associer véritablement leur regard à celui de l’autre.

Noémie


oOo

La bière tiède

Je débarque chez lui. Je me doutais bien que ce serait à son image. Tout s’écroule, c’est sombre, et silencieux. J’ai bien fait de venir à l’improviste, il aurait trouvé un prétexte pour ne pas être disponible. Mais je veux voir où il dort.

Je suis surprise qu’il m’ait ouvert. Il avait sa cigarette au coin de la bouche. En me voyant il a baissé les yeux et m’a laissée passer. Il m’a suivie et s’est assis, sans un mot, sur les marches de l’escalier.

Tous ses gestes sont à économie d’énergie. Toute sa maison est à économie d’énergie, d’ailleurs. Mais je ne suis pas certaine que ce soit pour faire plaisir à Europe écologie les Verts : l’électricité ne fonctionne plus, il vit dans la pénombre. EDF ne fait pas dans la dentelle.

Et puis il lève les yeux vers moi. Il écrase sa cigarette dans le cendrier qui déborde au pied de l’escalier. Il se lève en s’appuyant sur son genou, lentement il déplie sa grande carcasse. Il se dirige vers ce qui a du être une cuisine un jour, prend deux bières dans un frigo ouvert et m’en tend une. Le bruit de la bière tiède qui coule dans sa gorge. En écho, le bruit de la bière qui coule dans ma gorge. Ce n’est pas très réglementaire, mais j’ai toujours eu du mal à faire la part des choses entre mon travail et ma vie privée.

Après cette bière bue en silence, je m’approche d’un meuble sur lequel est posée la photo abimée d’une petite maison. Il me regarde faire, puis me rejoint. Dans un français malhabile, il me dit qu’il s’agit de sa maison, de celle de sa vie d’avant. C’est une petite maison proprette, on a du mal à imaginer qu’elle ait pu appartenir un jour à l’homme que j’ai devant moi. Il me dit que c’est là qu’il retournera. C’est la première fois que j’entends autant d’assurance dans sa voix.

Je n’obtiendrai rien d’autre de lui aujourd’hui. Il décapsule une autre bière, ouvre la porte, et me montre la sortie d’un regard fier.

Noémie