L'expédition IKEA par Marie-Annick-Ginette LAROSE, carpologue

En ce mardi 21 janvier 2014, au pied du grand escalier, l'équipe de l'expédition au grand complet attaque la visite de la cité retrouvée IKEA.

Sont présents :

  •  la topographe

  • le carpologue

  • l'archéozoologue

  • le paléontologue

  • la céramologue

  • la géomorphologue

  • la paléolithicienne

 

Tous les participants excités par l'aventure à venir échangent quelques conseils avec le chef de l'expédition, pour une fois une femme, qui leur fait les recommandations d'usage, et exige d'eux une extrême prudence surtout dans les étages supérieurs dernièrement reconstruits et encore en équilibre instable (toutes les vis des étagères n'ont pas été retrouvées et certaines reconstitutions sont en équilibre instable ; il ne serait pas prudent par exemple de s'installer pour une petite sieste dans la partie haute d'un lit superposé).

C'est l'heure.

L'équipe se disperse au premier étage de la cité.

La présence de nombreuse peaux de bêtes disséminées ici et là atteste de l'aptitude des Ikéaens à la chasse ; ils savaient aussi traiter et conserver ces dépouilles sans doute pour se protéger du froid et assurer le confort de leur couche.

 Je traverse un quartier de la cité, sans doute réservé au repos, de nombreux lits et sièges sont présents un peu partout. J'en conclus que les Ikéaens se regroupaient dans cet espace pour dormir ; ils établissaient probablement un tour de garde en haut de l'escalier et donnaient l'alerte en cas d'arrivée de troupes ennemies.

Je continue mon chemin.

Je constate avec inquiétude que les autres membres du groupe ne sont plus dans mon champ de vision. Je me sens tout à coup très seule.

Le premier étage de la cité est un véritable labyrinthe.

Toujours aucune trace de l'équipe archéologique.

J'arrive maintenant dans un espace très technique où les chercheurs étrangers déjà présents sur le site ont installé leurs bureaux.

Nous aurions dû arriver plus tôt, reste-t-il de la place pour les Français ? Ce n'est pas sûr, il semblerait que les Suédois se soient réservés ici la part du lion. 

J'ai même l'impression qu'ils ont engagé du personnel de surveillance pour espionner leurs collègues étrangers…

J'arrive dans un nouvel espace encore dédié au sommeil. Les Ikéaens devaient passer beaucoup de temps au lit. Je vais interroger un ethnologue à ce sujet. Cette civilisation était peut-être dédiée à Eros ?

Je note aussi que la notion de confort et de rangement était très présente dans la cité.

Dans l'espace enfants la présence de nombreuses reconstitutions d'animaux en peluche atteste que les Ikéaens, grands chasseurs devant l'éternel, apprenaient très tôt aux jeunes à reconnaître le gibier.

A l'extrême extrémité du premier étage, les archéologues suédois ont installé leur cantine mais il est hors de question que l'équipe française soit nourrie à cette enseigne de harengs accompagnés de confiture d'airelles !

J'amorce la descente vers l'étage inférieur.

L'abondance d'ustensiles entreposés prouve que l'Ikéaen aimait manger et préparait même une cuisine élaborée certainement à base de gibier local. Visiblement il connaissait déjà les arts de la table et invitait ses amis à des banquets (je note la variété d'assiettes et de couverts qui infirme  l'idée qu'à cette époque on mangeait avec les doigts).

Quelques visiteurs non encadrés se promènent dans les allées, sans doute des touristes échappés d'un groupe. Je me demande pourquoi ils ont été autorisés à pénétrer dans un domaine aussi fragile où tous les objets mis à jour n'ont pas encore été répertoriés.

Cruelle absence de responsabilité de la part des scientifiques gestionnaires (encore les suédois), jamais le gouvernement français n'aurait fait preuve d'un tel laxisme !

J'arrive enfin dans la zone des plantes vivantes où ont été entreposées de nombreuses variétés d'orchidées que l'on a réussi à refaire pousser grâce à des graines retrouvées intactes dans la terre, ma spécialité !

L'endroit est impressionnant, multitude de  couleurs et quelques senteurs rares. Je remarque aussi une collection de cactées, vestiges d'une période de sècheresse qui frappa la région pendant plusieurs décennies. Je devrais faire des prélèvements pour dater les échantillons ici présents, heureusement les étiquettes portent des noms latins (les Suédois n'ont pas encore le monopole de la langue botanique).

Je croise encore quelques touristes qui se dirigent vers la sortie accompagnés d'enfants en bas âge, encore une hérésie sur un site archéologique !

Plus loin sont entreposés des palmiers, souvenirs d'un climat tropical cette fois, une autre période à étudier pour moi.

Quelques amphores de belle taille sont installées sur des étagères basses, je pense qu'elles seraient plus à l'abri dans un musée.

Il me faut maintenant retrouver les autres membres du groupe, nous devons discuter très sérieusement de la place qui est faite sur ce site à la délégation suédoise, il semblerait que les nordistes aient établi ici une prééminence aussi contestable qu'inattendue.

Nous devons en référer au plus vite au Collège de France qui a commandité nos recherches et financé cette expédition.

... J'ai bizarrement l'impression d'être observée ;  des individus en chemise jaune et gilet bleu circulent dans les allées en poussant des chariots vides, je me demande où sont passés mes collègues.

Serions-nous tombés dans un traquenard fomenté par les scientifiques suédois jaloux de notre passé de brillants archéologues ?

L'étau se resserre autour de moi.

      Je crains le pire...

 

Texte trouvé dans le sac à dos de Ginette LAROSE, carpologue disparue en mission sur le site d'IKEA en janvier 2014 à ST Herblain.