Le Tout va bien, par Noémie et Georges

 

Sur la cheminée 

 

Tout va bien !

Il se raccroche à ce nom comme à sa mère patrie.

Tout va bien !

Il ajouterait bien un « Madame la Marquise » pour égarer ses pensées et ne surtout pas regarder.

Tout va bien !

Au moins, les barres des T sont encore droites.

Tout va bien !

Finalement, à bien y regarder, les escaliers sont toujours là. Les cheminées aussi, d’ailleurs.

Tout va bien !

Il est sidéré par ce pan de mur quasi nu. Il reconnaît le papier peint de la chambre jaune.

Tout va bien !

Ils sont quatre devant le café. A regarder leurs pieds.

Tout va bien !

Ils saisissent de concert l’échelle posée sur la devanture du café. L’appliquent sur le pan de mur. Sans une parole.

Tout va bien !

Il monte. Les trois autres l’observent.

Tout va bien !

Du moins, jusqu’ici.

Tout va bien !

La dernière bouteille n’a pas été pulvérisée par l’explosion, elle est en équilibre précaire sur la cheminée du quatrième étage.

Tout va b…

Coup de vent.

 

Noémie

 

Raoul

 

Raoul était gardien de nuit aux Chantiers Navals à Nantes. Tous les matins après le travail il allait boire un muscadet au Tout va bien avant de rentrer chez lui et de dormir un peu.

Ce jeudi, Raoul était comme d’habitude accoudé au zinc. Victor lui avait servi son verre, mais ce jour-là était différent. Raoul avait passé une sale nuit, des voyous de Trentemoult étaient venus mettre le bazar au chantier. Du coup Raoul avait soif.

Après son verre habituel il en commanda un autre, puis un autre, puis un autre. Même Victor le patron n’aurait pu dire combien il en avait bu. Au bout d’un certain temps, largement éméché, Raoul dut aller aux toilettes.

Ne se sentant pas la force d’uriner debout, il prit la liberté de s’asseoir. Ainsi confortablement installé il se dit qu’il se roulerait bien une clope – et oui, Raoul se les roule. Avec des gestes maladroits, il parvint à ses fins au bout d’un certain temps. Pour tirer profit de l’emplacement jusqu’au bout, il décida de la fumer sur place. Il sortit sa boite d’allumettes, craqua son morceau de bois souffré, et…

A ce moment retentit une énorme explosion, qui l’envoya valdinguer cul-nu contre le mur des toilettes. Titubant autant sous l’effet de l’alcool que de la déflagration, il rejoignit le bar en se disant : « Mon dieu, j’ai fait sauter l’machin ! »

Lentement il passa devant le comptoir où règnait la confusion la plus totale, et se faufila vers la sortie sans payer ses consommations.

C’était le 23 septembre 1943, les Anglais venaient de bombarder Nantes. Quant à Raoul, il se dit pour le restant de ses jours : « J’ai fait sauter l’machin ! »

 

Georges