La page blanche, textes collectifs

Tempête

Papier glacé couleur banquise, comme un iceberg où mes mots comme des vagues viennent se heurter. Eviter le naufrage de la pointe Bic comme le Titanic.

Une solution pour éviter le naufrage, mettre la pointe droit devant, nez au vent, et se laisser confiant face aux déferlantes, affronter la peur des vagues abruptes et laisser filer la pointe. Tout écart de trajectoire peut être fatal : une « fôte » d’orthographe dévie le cap sérieux d’une missive, une erreur de grammaire et la coque prend l’eau, un mot mal choisi et la poésie coule à pic dans la mer de la morosité, ou pire, de la vulgarité.

Parier sur l’adresse du capitaine, garder le cap, suivre la route tracée par son imagination, véritable carte au trésor du plaisir d’écrire. Le chemin le plus court n’est pas toujours la ligne droite, la pointe Bic le sait bien ! Surtout sur la carte marine, tracer son chemin de mer n’est pas une mince affaire, il faut tenir compte de la violence du vent, de la dérive des mots, de la vague des adjectifs, des remous provoqués par les adverbes, du ressac de certains verbes et de la colère des points d’exclamation, … tout ce qui peut faire que le navire perde son cap.

Si malgré toutes ces précautions les mots se couchent sur le papier, si l’encre jetée ne suffit plus à stabiliser l’écrit du narrateur, une seule solution : jeter une bouteille à la mer, le dernier message est souvent le plus important.

 

Liberté, égalité, fraternité

La page blanche : un espace de liberté, qui aurait pu être autre chose une fois qu’elle est noircie. Elle aurait pu être une feuille comptable, un testament, un brouillon, une lettre d’amour ou rien de tout cela.

Un espace d’inégalité que certains auront plaisir à occuper, que d’autres peineront à remplir ; un espace vertigineux pour ceux qui ont peur des mots, un espace réjouissant pour ceux qui savent les apprivoiser.

Un espace qui rapprocherait les gens, mettant à distance l’indifférence, ou la peur, l’incompréhension. Les mots veulent tous dire la même chose dans des langues différentes : tu es mon frère quelle que soit la couleur de l’encre avec laquelle tu écris. J’essaie de te comprendre, de te rejoindre.

Nous nous couchons sur des feuilles blanches, nous les jaunes, les blancs, les noirs, les rouges, nos mots s’envolent avec elles, nos âmes pénètrent le monde, nos mots circulent, se contestent, nous grandissent, nous questionnent, la feuille blanche a pris couleur aux yeux du monde.

Se coucher sur une page aux côtés de l’autre est plus facile que se coucher dans un lit, et par les mots la fraternité féminine des blanches, noires et rouges, rencontre en égalité la fraternité masculine des rouges, noirs et blancs, et en plus, il n’y a pas de draps à laver.

Alors pourquoi n’écrire qu’en bleu et noir ?

 

Absurdité

Il n’y a pas d’impression sur une page blanche, par définition une page blanche est vide d’impression. Mais j’ai comme l’impression que mon expression écrite vient de créer l’impression…

Et cela m’impressionne d’avoir le droit de m’exprimer, cela me met un peu la pression de prime abord et pour me dépressuriser je vais tenter de me presser sur la tranche de la feuille plutôt qu'en plein milieu. 

Cela fera une drôle d’impression à l’imprimeur de devoir imprimer sur tranche. L’expression réduite à sa plus courte expression, on pourrait même parler de tranche d’expression. Expression libre !

Expression spontanée… Mode d’expression, exprimez-vous ! Exprimez de vous la substantifique moëlle, répandez-la sur la page blanche, laissez-vous aller, laissez venir les mots sans pudeur, sans retenue, lâchez-vous !

Depuis que je me lâche ça me tient, gonflé à bloc j’ai de l’expression dans les pneus. Je laisse des traces de gomme dans les virages du mot saucisson.

Y a comme un os dans la substantifique moëlle de mon expression. Une bonne tranche de cake pour réduire cette absurde envie d’écrire que j’ai tant de mal à nourrir, serait la bienvenue.

 

 

Blanche

C'est une porte qui s'entrouvre vers la liberté, liberté de penser, d'imaginer, de voyager avec les mots qui surviennent, nous surprennent, nous incitent à aller plus loin sur le chemin.

Les mots, avant même d'atterrir sur la page, coulent comme le fleuve amazone, alimentent le bouillonnement de nos cerveaux, et font fleurir sur leurs berges lexicales des forêts d'évènements qui ne sont pas encore nommés.

Les forêts profondes d'émotion peuvent disparaître à jamais lorsque les mots ne peuvent surgir ; le fleuve amazone va nous les rapporter, une branche, un poisson volant, un rayon de soleil sur la vague.

Les fleuves sont magiques, ils charrient dans leurs eaux les pensées de ceux qui s'aventurent sur leurs berges, si nous pouvions déchiffrer le message de leurs flots tumultueux, ils nous parleraient de la vie qui passe.