La ruine de Rome, par Marie-Annick, Maléna, Cécile B. et Frédérique

 

Rome est en ruines

Rome est en ruines... encore fumantes. Rome est sonnée.

Villas détruites, palais incendiés, chaussées défoncées. Désastre.

Rome se relèvera ; resteront les cicatrices, des murs à demi effondrés, des éboulis de pierre, des portes ouvertes sur des jardins en friche.

Un jour, la pluie tombera, des graines minuscules germeront dans les interstices, des feuilles tendres apparaîtront, la linaire cymbalaire montrera le bout de ses fleurs lilas ; gracile mais tenace la petite plante se faufilera, se répandra, légère, persistante, envahissante.

Cette scrofualire tenace gagnera peu à peu du terrain, s'installera sur toutes les parois verticales, déploiera sans vergogne ses feuilles palmatolibées.

La pierre petit à petit deviendra mauve puis disparaîtra.

Rome, une seconde fois, sera vaincue.

 

Marie-Annick

 

Ruine

Plante dévorante qui détruit tout sur son passage. Images cataclysmiques de Rome qui s'effondre, la poussière qui dessèche la gorge, qui est elle, elle dont le projet s'apparente à la destruction ?? Elle est devant moi, fragile jolie comme un coeur dans sa robe verte décolletée. La tige en est très fine, quelle peut être sa stratégie, elle se faufile dans les interstices, grimpe sur les vieux murs ridés qu'elle décore à sa façon pour mieux les séduire ; elle s'insinue subrepticement dans leurs failles, sa petite fleur mauve complète le décor : comment lui résister ? Viens donc combler mes rides, me donner un coup de jeune, me faire oublier mon âge canonique…Et c'est la dépendance qui s'installe, elle grignote l'espace, envahit les moindres recoins. Elle paraît si tendre, pourquoi s'en méfier ? La messe est dite, le ver est dans le fruit !!

 

Maléna

 

La Ruine de Rome

Hier, mon jardinier est venu s'occuper du jardin. Il s'occupe bien du jardin. Depuis que je l'ai engagé, il a fait de ce carré herbeux un petit paradis végétal. Je lui ai laissé carte blanche. Mon jardinier est fin psychologue car il a compris par lui-même que je voulais du jaune, du blanc et du léger. De la beauté en toute discrétion : voilà mon jardin.

Ma fleur préférée reste la Ruine de Rome. Comment une fleur aussi jolie et délicate peut-elle porter un nom aussi lugubre ? Mon jardinier ne s'y est pas trompé et a choisi le nom latin pour les présentations : "Et voici la simbalaria mouralis !" Les noms latins sauvent souvent la mise et magnifient la plus simple des fleurs des champs.

Pour mon plus grand bonheur, mon jardinier est bilingue français-latin. Quand il me parle de mon jardin, j'ai l'impression qu'il me récite un poème. Je l'écoute sans comprendre, en admirant mes fleurs, je me laisse emporter par le flot de ses paroles aux accents désuets. Tout devient précieux, d'une valeur inestimable.

 

Cécile B.

 

La ruine de Rome
 
C’est une petite plante de la famille des scrofulariacées. Les pétales légères de sa délicate fleur mauve entourent un petit cœur jaune. Ses feuilles font penser à des cœurs vert tendre. Elle envoie, millimètre après millimètre de longues et fines tentacules dans les afranctuosités de mur qu’elle a choisies pour raciner.
Et j’attends.
Elle pousse et j’attends. Un peu de soleil, un fond d’humidité, de quoi nourrir sa vie, et elle s’étale dans les murs de pierre aux côtés de la pariétaire qui elle, préfère le creux des marches ou le millepertuis qui lui, choisit le haut des murs.
 
Peu à peu, elle se glisse, ici et là bas, dans les interstices entre deux pierres. Elle ronge grain par grain, le sable et la chaux, l’enduit fatigué, les joints usés, le salpêtre…
Et j’attends.
Certes, son avancée est lente, mais j’attends.
En un mois, elle a gagné quinze centimètres.
Ah ! Babylone la grande. Ah ! Ville mégalomaniaque faite de concepts, de chair, de rêves d’hommes, de pierres, de bitume, de gaz puants, d’os… Ah ! Ah ! imagine, devine, combien cette délicate plante à fleurs roses va te miner peu à peu, comment, au fil des années, elle va écrouler tes pierres, tes constructions, tes leurres, tes édifices, tes projections, les uns après les autres.
Comment elle saura, te mettre face à toi même, à tes eccès, ton orgueil démesuré, ton hégémoniaque extension pollluante, toi, l'envahissante masse,
Et j’attends.
Printemps, été, automne,... La plante fait relâche en hiver mais l’année suivante, elle reprend ses droits et grain de sable après grain de sable… SCRITCH, BLANG, CATABLOUNG…Un mur s’écroule rue Luminais, un autre tombe Rue de Plaisance et c’est la fin des établissements Chupin, la place Pointcarré accueille la lumière, le centre Neptune fait place béante. La ruine de Rome rampe sur les gravats. Victoire ! Quartier Saint Clair, l’imprimerie elle aussi est tombée.
Ici, Rue de Gigant, la matricaire, l’achillée, les coquelicots vont revenir. Et les bleuets ! Ah les bleuets !
 
Mais PATAPLAC PLOF PLOF ! Le temps d’une saison à peine, ils empilent parpaings et PLOF PLOF ! voici un immeuble imposant de cent pieds de long, d’une voyante hauteur et d’une largeur maximale (au taquet le long des trottoirs). Et ça grimpe, ça grimpe !
Sans interstices entre les pierres.
Auraient-ils forcé la chute des vieux murs avec leurs grues ?  Ce ne serait donc pas sous la seule action de la ruine de Rome que ces hauts murs se sont écroulés ?  Pourquoi reconstruisent-ils ?
 
J’ai encore quelques graines de cymbalaires que je sème.
Et j’attends.
Je me tiens devant le mur moche. Je ne savais pas que l’on pouvait inventer ça : Moche comme ça ! Aucune interstice dans ce nouveau grand mur lisse et uniformément gris.
 
Mais la ruine qui pousse va bien finir par repousser Rome.
Et j’attends !
Ah Babylone ! Ah Rome ! Un jour, la ruine t’aura !


Frédérique